"Ne l'oublie pas" (Fargess nicht du bist a yid) !
Extrait d'une lettre à son fils aîné, datant de la fin des années 1980.


Le refus de soi, très brillament démontré par Freud. C'est comme si tu étais malade. Et j'ai longtemps été malade. Tu es un sale juif, un youpin, un youtre, retourne dans ton pays me disait-on partout. Et d'abord à l'école. Pions, élèves, tous s'y mettaient. Ne l'oublie pas était la leçon de mes parents. Pourquoi me le rappeler , croyez-vous que je ne me rappelle pas moi-même.
Souvent, je pensais qu'il valait mieux que je ne m'en souvienne pas. Cà me fichait une peur ! C'est comme si l'on me disait : tu es malade Maurice. Maurice, tu vas en mourir. Et j'ai bien failli en mourir, disparaître dans les fumées d'Auschwitz, comme mon père, comme mes deux frères. J'ai été battu à l'école, dans la rue, porté l'étoile, subi le mépris et la haine de beaucoup, car alors, l'antisémitisme se portait bien, lui.
J'ai fuit clandestinement la terre où j'étais né, franchit des frontières. Subit le sort des apatrides.
Il n'est même pas possible d'expliquer tout celà.

Weissel a écrit le cinquième fils. L'histoire d'un déporté revenu des camps de la mort. Ce fils lui demanda: là bas, comment était-ce ? Brusquement la honte, la boue, le sang, les larmes, la peur lui reviennent en mémoire. Il n'a jamais pû en parler, donner d'explication. Les mots s'arrêtaient dans sa gorge pendant qu'il revoyait l'enfer.
Moi non plus, je ne peux dire ce que furent la honte et la peur pendant si longtemps. Et vers la fin de mon adolescence, j'en ai eu assez d'être juif. Du moins, j'osais me le dire. Etre juif, pensai-je, était une condition étriquée, ligotée, absurde. Pourquoi accepter cette limitation au presque début de ma vie. Pourquoi demeurer vaincu parmi les vaincus. Je voulais goûter à toutes les nouritures, jouir de toutes les voluptées. Je serai fier de mon corps et sûr de mon esprit. Je pratiquerai et comprendrai tous les philosophes, toutes les philosophies.
Il est important que je retrouve le ton juste de cette période. Il n'est presque plus de bon goût aujourd'hui de se cacher d'être juif. Etre juif a cessé d'être non convenable. Ce sont là les signes d'un temps nouveau ...

Que ce temps dure.
Tout celà prouve qu'il n'y a pas, pour le moment, de danger immédiat à s'avouer juif. Mais enfin, il n'en a pas été ainsi, toujours. La réaction la plus courante chez les juifs ouvriers, bourgeois, intellectuels, savants a toujours été d'émousser, de camoufler leur origine. Ils n'avaient pas absolument tort. Et quel juif n'a pas été gagné, à un moment de sa vie, par le regret ou la révolte de ne pas être comme les autres ?
Je ne cherche pas à me justifier. Je n'ai pas besoin de défendre une période de ma vie. J'en suis totalement revenu. Je suis maintenant opposé à tout refus de soi, à tout déguisement.
On croie, tu croies, les autres croient que le juif qui se nie est un caméléon, couard, rusé, qui ne mérite que la colère ou l'ironie. C'est trop commode, facile d'ainsi penser. Je n'ai pas joué à cache-cache longtemps pour préserver je ne sais quoi, mes aises, mes biens, le regard des autres. Non. Mais je ne voulais pas être cet infirme qu'on nommait juif.
Surtout, parceque je voulais être un homme
...

libre, en dehors d'un système d'accusation et d'injustices. Je voulais me dépétrer de cet absurde. Je voulais aller vers les hommes, reconquérir cette humanité qui m'était discutée.
C'était finalement le refus de nommer les malheurs passés avec l'espoir magique de les voir disparaître.
Maintenant, je reste ce juif français que rien, ni la guerre, ni les persécutions injustes n'ont pu faire dévier de ma pensée. Je suis lié charnellement, spirituellement à ma patrie Française, culturellement chrétien. Elle est puissament en moi, ma France, avec sa terre, ses hommes, son passé, son devenir.
Un journaliste breton, polémiste, avait écrit un jour qu'il y a au moins deux choses impossibles au monde. Etre breton et ne pas être juif. Au breton qui parle langue de culture bretonne, on répond toujours: mais non, vous êtes français.
Quoi qu'il fasse, le juif est réputé autre. Il a beau appartenir à la famille française depuis des siècles, servir passionément la France, l'homme par des chefs-d'oeuvres,
...

il trouvera toujours un imbécile pour lui crier: retourne dans ton pays.
La convertion ! Des juifs s'étaient convertis depuis des siècles et se convertissaient tous les jours. Est-ce que la convertion est l'accomplissement, la vérité profonde de l'assimilation ? Je me rapelle l'exclamation d'un ami de jeunesse convertit, qui disait n'être jamais aussi juif que depuis qu'il est chrétien.
Car à cet impossible oubli de la judëité il existe, cette fois, une raison objective, la nature même du christianisme et les relations entre les deux confessions. Les origines du christ sont juives et le rôle des juifs dans l'histoire chrétienne est surabondant.
Veux-t'on se rassurer deux fois en insistant sur la génèse juive du christianisme. Veux-t'on convertir tout le monde ?
Je pourrai citer un autre philo: la vie peut être déshonorante lorsqu'on ne met pas à profit le droit de mener une existance différente.